IMMIGRATION. Quatre travailleurs costaricains à l’emploi de l’entreprise Rotobec de Sainte-Justine sont, depuis mars dernier, au cœur d’un imbroglio administratif en lien avec la reconnaissance de leurs compétences de la langue française.
Robert Bouchard, PDG de Rotobec, entouré de Randall Fonseca et Rafael Enriquez, deux travailleurs qui devront reprendre des cours de français supplémentaires, même s’ils ont obtenu leur diplôme de niveau 7 du ministère de l’Éducation. (Photo : La Voix du Sud – Serge Lamontagne)
Ces quatre travailleurs, qui sont dans l’entreprise depuis 2015 ou 2016, selon le cas, ont obtenu du ministère de l’Éducation leur certification de niveau 7 qui les qualifiait pour l’obtention du Certificat de sélection du Québec (CSQ), en vue de leur résidence permanente ou même de leur citoyenneté canadienne.
Pour ce faire, ils pouvaient déposer une demande de renouvellement de leur permis de travail en vertu du Programme d’expérience québécoise (PEQ), dont l’étude prend deux mois tout au plus, contre six à huit mois pour le «programme long» qui est normalement réservé aux premières cohortes d’employés immigrants ou ceux n’ayant pas atteint leur niveau 7.
La demande de ces quatre employés leur a été refusée par le ministère de l’Immigration et de l’Intégration du Québec (MIDI) qui leur avait acheminé un avis d’intention de refus au début du mois de mars, avant de confirmer la mauvaise nouvelle tout récemment. Ils sont d’ailleurs les quatre premiers employés-immigrants de Rotobec à essuyer un tel refus et devoir passer par une étape supplémentaire.
Robert Bouchard et Cathy Roberge, qui sont respectivement PDG et conseillère en gestion des ressources humaines chez Rotobec, soulignent que cette lettre d’intention de refus obligeait les employés concernés à entreprendre une démarche supplémentaire visant à confirmer leur niveau réel de français. Ils ont dû passer une entrevue orale auprès du MIDI qui les a finalement classés au niveau 5.
«C’est carrément différent du niveau 7 qu’ils avaient reçu du ministère de l’Éducation, mais on ne sait pas vraiment où est la différence entre les deux. Même la Commission scolaire Beauce-Etchemins n’a pas de réponses», mentionnent les deux dirigeants qui s’élèvent contre cette décision du MIDI qu’ils qualifient d’injuste.
La loi sur l’immigration stipule qu’une fois le niveau 7 atteint, le ministère de l’Immigration se donne le droit d’exiger un examen oral s’il juge que les candidats ne répondent pas aux critères du niveau 7. Dans le passé, 18 employés de Rotobec ont été acceptés au CSQ via le programme PEQ. Quatre de ces autorisations sont survenues avant 2016 et depuis ce temps, 14 autres ont franchi le processus avec succès. Même si loi stipulait que chaque candidat obtenant son diplôme de niveau 7 du ministère de l’Éducation devait systématiquement passer un test de français oral de la part du MIDI, les employés en question en avaient tous été exemptés.
Désagréments
Robert Bouchard déplore la situation d’autant plus que le 12 juin prochain, un premier candidat qui devait passer sous le programme PEQ va perdre son admissibilité. Dans son cas comme les autres, l’entreprise souhaitait déposer une nouvelle demande de permis de travail en vertu de ce programme.
«Depuis 2016, chaque candidat aurait dû être systématiquement audité par le MIDI, après l’obtention de leur diplôme du ministère de l’Éducation. Le MIDI a décidé d’appliquer la règle de façon plus stricte et nos employés sont les premiers à passer dans le collimateur. Ce n’est pas le fun, mais on n’a pas le choix. On a une excellente collaboration du MIDI depuis le 17 mai dernier, mais on aurait aimé savoir ça avant», précise le PDG.
Cathy Roberge souligne que cette situation force les quatre employés et l’entreprise à passer de nouveau par le programme long pour le renouvellement de leurs permis de travail. «Le processus va durer de six à huit mois et ils devront ensuite passer de nouveaux tests de français. En plus de ces quatre candidats, quatre autres employés qui devaient tomber sur le programme court devront à nouveau passer, eux aussi, par le programme long.»
Déception des employés
Cathy Roberge ne cache pas que les employés concernés sont déçus par la tournure des événements. «Certains d’entre eux bûchent deux, trois ou même quatre ans pour apprendre le français. Ils consacrent quatre heures de français semaine pour cela et on doit maintenant leur dire que même s’ils ont travaillé fort, ça ne marche plus et ça ne tient plus», affirme-t-elle.
Arrivés en 2015, Randall Fonseca et Rafael Enriquez confirment leur déception devant cette situation. «Nous travaillons fort pour avoir notre résidence permanente. Les enfants sont bien intégrés à l’école et mon épouse a un emploi ici. Tout le monde est heureux et on veut rester», mentionne Rafael qui est établi à Saint-Cyprien.
Établi à Sainte-Sabine avec sa famille, Randall ajoute que ce développement ajoute assurément du stress à leur situation. «J’ai un bon travail, mais nous avons du stress avec la maison et tout cela, car je ne veux pas perdre d’argent. S’il faut reprendre nos cours, on va le faire, mais ça reste une injustice pour nous.»
Le permis de travail des deux travailleurs se terminera en 2020. Cathy Roberge devra déposer une demande de processus long et eux devront à nouveau suivre des cours de français pour être capables de renouveler leurs demandes de permis et poursuivre leurs démarches visant à obtenir leur CSQ et leur résidence permanente, sacrifice auquel ils sont prêts à de plier à nouveau, mais à contrecœur.
La députée interpelée
Robert Bouchard mentionne que l’entreprise, désireuse de faire avancer rapidement le dossier et éviter un tel dénouement, avait contacté le bureau de la députée Stéphanie Lachance dès le 7 mars. Après différents échanges de courriels, contacts téléphoniques et rencontres, une conseillère du ministre de l’immigration, Simon Jolin-Barrette, a contacté l’entreprise le 17 mai dernier, en fin d’après-midi, afin de prendre en charge le dossier.
«Elle nous a donné l’heure juste en nous disant qu’on avait été chanceux, dans le passé, que nos candidats n’aient pas été vérifiés systématiquement après avoir reçu leur diplôme du ministère de l’Éducation. On nous a dit qu’il y aurait eu de la fraude de la part de certaines commissions scolaires qui auraient produit de faux diplômes de niveau 7. Je suis convaincu que ce n’est pas le cas de la CSBE», souligne M. Bouchard qui rappelle que toutes les démarches supplémentaires entraîneront d’importants frais pour les employés concernés.
Invitée à commenter la situation, Stéphanie Lachance a rappelé que des échanges réguliers ont eu lieu non seulement avec les représentants de l’entreprise, mais également avec avec des fonctionnaires du ministère de l’Immigration. Ceux-ci ont permis d’éclaircir le dossier, d’où l’intervention de la représentante du ministre Jolin-Barrette le 17 mai dernier. Elle s’est par ailleurs réjoui du fait que les employés dont le permis de travail se terminait le 12 juin prochain aient reçu ou recevront, au cours des prochains jours, leur certificat d’acceptation du Québec.
«Ce faisant, leur permis de travail sera valide pour une autre année, ce qui leur permettra de poursuivre leurs cours de français et de réussir leur niveau 7», a-t-elle mentionné en soulignant que de tels dossiers sont à la fois complexes et émotifs.
Source: Serge Lamontagne, La Voix du Sud, le 29 mai 2019